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Chronique de Bertrand Midol
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2 septembre 2010

Confiture d’abricots, gourmandise et résistance

Des abricots. Tout petits. Tout beaux. Qui fleurissent les arbres. Puis les cartons des grands-mères ladakhies qui égrènent Main Bazar de leur rusticité et de leurs étales bigarrées. La fin de l’été approche. Il est temps de préparer l’hiver. De se concocter de bonnes confitures pour égayer des matins polaires.

 

Je suis gourmand. Depuis tout petit. Dans le Jura, où mes grands-parents paternels nous accueillaient avec une affection si suave, la fin de l’été engendrait son lot de fruits. Fruits à transformer en délicieuses confitures. Confitures en forme de dons d’amour à ces petites bouches avides de péchés sucrés, à étaler sur le bon pain fermier, frais comme le beurre des vaches du village. Mon grand-père, en dépit de sa santé déclinante, s’entêtait à cultiver cassis, groseilles, fraises et framboises. Pour le bonheur de ses petits-enfants. Ma grand-mère, en dépit de la chaleur pas encore déclinante, s’éprouvait à cuisiner ces fruits pendant de longues heures. Pour le bonheur de ses petits-enfants.

Aujourd’hui, c’est à mon tour de faire mijoter la confiture. Ces gestes m’emplissent de nostalgie. Je revois ma grand-mère du Jura. Celle d’Ardèche aussi, au temps d’Alba la Romaine, quand elle gâtait nos petits déjeuners des fruits des vergers voisins. Je revois aussi ces grands-mères ladakhies, à qui j’ai acheté ces abricots tout à l’heure. Celle qui m’a crié dessus, comme si je l’avais volée. Je n’avais juste pas récupérer la totalité de la monnaie.

Ces gestes ne sont pas seulement composés de nostalgie et de gourmandise. Ils possèdent également un sens social, voir politique. Oui.

 

Comme je l’ai évoqué dans la chronique sur les femmes du programme Artisanat, le Ladakh s’est ouvert aux produits extérieurs en même temps qu’il en est devenu dépendant. Désormais, un marché aux fruits et légumes tenu par des cachemiris abreuve Leh de ses produits importés. Des échoppes regorgent de produits manufacturés, tels confitures de fraises et Nutella. En achetant ces produits, on ne fait rien de mal, non ? Quand même un peu plus qu’en consommant les produits locaux.

Les routes qui lient le Ladakh au reste de l’Inde se meuvent dans des contrées aux dimensions énormes. Enormes comme les fumées d’échappement des camions Tata, fumées si obscures et denses. Des armadas de camions approvisionnent le centre urbain de Leh, ce centre qui dessine en creux la désaffection des villages, le chômage et la solitude des néo citadins déracinés.

Aussi, la relocalisation de la dynamique socioéconomique apparaît comme cruciale. Que ce soit pour préserver la nature, son équilibre fragile, ses oiseaux migrateurs ou ses léopards des neiges. Ou pour soutenir les grands-mères ladakhies. Ici, l’interdépendance de tous et les conséquences de son comportement continuent à être bien palpables. Bien sûr, en Europe, dans les gigantesques et impersonnels circuits de distribution, elles le sont beaucoup moins. Pour autant, qui peut feindre d’ignorer les répercussions de ses choix quotidiens de mode de vie ?

Ce n’est bien entendu pas seulement par des choix citoyens de consommation que nous pouvons avoir prise sur le cours des évènements, résister à notre auto destruction et au fatalisme ambiant. Mais qui veut le plus peut le moins. « Résister davantage, mais comment ? Ca va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles non ? » (1). Tranquilles, peut-être, mais sans les confitures de grands-mères, avec sous peu un masque à gaz et des libertés qui chaque jour s’amenuisent.



[1] Pavloff Franck (1998) Matin brun, Cheyne éditeur, Le Chambon sur Lignon (réed. 2003), p. 11.

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