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Chronique de Bertrand Midol

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9 mai 2012

La Bataille de Manille

La Perle de l’Asie est prise entre deux feux. En ce mois de février 1945, les Américains, menés par le général Mac Arthur, veulent reprendre Manille aux Japonais. Ces derniers s’en sont emparés depuis que soixante-quinze milles soldats américains et philippins ont dû capituler au printemps 1942. Une terrible marche a ensuite mené vingt milles de ces prisonniers à la mort, tandis que le reste a atteint un camp d’internement dans lequel vingt-cinq milles d’entre eux périrent.

Pour reconquérir ce qui était leur colonie avant l’invasion japonaise, les Américains bombardent la ville, puis y pénètrent pour mener des combats de rue. Cent-cinquante milles civils périssent et Manille est détruite.

 

P1010433Aujourd’hui, plus de bombes larguées d’avions, ni de mitraillettes. La ville s’est reconstruite. Laide comme un nouveau champ de bataille, celle que mène la misère. Fascinante comme un nouveau combat, celui que relèvent les Philippins pour leur survie.

Imaginez les faubourgs de Paris au XIXème siècle, transposez-les dans une modernité étourdissante, avec Makati comme écrin, ce quartier d’affaires et de luxe à faire pâlir la City de Londres. Mettez la population de l’Ile-de-France dans une superficie dix-huit fois plus petite[1]. Placez la moitié de ce peuple dans des bidonvilles dont certains érigés sur des décharges, et regardez des tas de familles et d’enfants qui ont pour seul toit un carton posé sur un trottoir. Parsemez de centres commerciaux gigantesques, odes à la consommation dans une litanie de pauvreté, et n’oubliez pas les chaînes de fast-food. Figurez-vous une circulation qui, aux heures creuses, ressemble partout au périphérique parisien aux heures de pointe. Transportez ces flux gluants dans des bus,  dans des voitures, dans des taxis, dans des side-cars motorisés ou cyclistes, et avant tout dans des jeepneys, ces jeeps transformées en minibus, toutes chromées et décorées et avec leurs barres au plafond pour accrocher les bras des passagers saccadés. Assaisonnez d’une pollution qui brûle les tuyaux. Relever avec un constant tintamarre digne des plus délurés concerts de hard rock. Chauffez à 37,2°, humidifiez et laisser un peu de brise venue de la baie remuer tout ça. Saupoudrez de marchés en plein air. Poivrez avec une prostitution, une criminalité et une corruption endémiques. Allongez avec une piété catholique phénoménale. Dégustez les sourires.

 

La question que l’on se pose ici est : est-ce humain ? Est-ce ça le produit de l’histoire ? Bien des peuples se sont mélangés dans l’archipel philippin, et la mondialisation l’a façonné dès le XVIème siècle. Tant d’autres raisons peuvent être invoquées, mais voyons par où est passé ce pays pour tenter de comprendre comment une société humaine a pu créer une telle ville.

Il y a un peu moins de deux milles ans, les Chinois commercent déjà avec les îles principales. Dans la suite du premier millénaire de notre ère, les Malais s’y installent. Au XIème siècle, les Indiens, Japonais, Vietnamiens, Cambodgiens et Thaïlandais se mêlent aux échanges. Dès la seconde moitié du XVème siècle, l’islam se diffuse dans les îles méridionales. En 1521, Magellan débarque. Encore cinquante ans et l’Espagne annexe l’ensemble de l’archipel à laquelle elle attribue le nom de l’héritier de Charles Quint, Philippe II. Le christianisme s’impose à coups d’exécutions. Puis, en 1898, les Etats Unis d’Amérique entrent en guerre avec l’Espagne au sujet de Cuba, ils attaquent la colonie philippine et chassent leurs ennemis en six mois. Quatre ans plus tard, ils finissent d’écraser la résistance locale. La fin de la Deuxième Guerre Mondiale apporte l’indépendance, mais pas la fin de la main mise américaine. Sur l’échiquier asiatique de la Guerre Froide, les Philippines représentent une pièce majeure. Les dictateurs et l’oligarchie peuvent prospérer. Le libre échange s’en accommode encore très bien, de même que de la maigre cohésion nationale.

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Tout ça pour ça ? Alors, quoi ? Dégoût, désespoir ? Oui, la bataille de Manille exhale de ces fumées-là. Mais d’elle transpire aussi la force de ce peuple, sa résistance, ses gestes d’affection, comme ce couple qui dort dans son side-car-maison, main dans la main et sourires aux lèvres.

La bataille de Manille n’est pas terminée. Elle a lieu, avec une intensité variable, partout. Elle n’a pas de fin. Chacun de nous, dans sa vie personnelle, dans sa vie professionnelle, est confronté à elle, au dégoût et au désespoir qu’elle provoque. Qui, notamment chez les travailleurs sociaux, n’en a jamais eu marre, qui n’a jamais pensé que tout ce qu’il tentait était perdu d’avance ?

Mais, de tout son bouillonnement, la bataille de Manille situe l’enjeu, un enjeu auquel je repenserai souvent, ici et ailleurs, quand le sens ploie sous le désespoir. Cet enjeu, Hemingway l’a posé simplement : « Le monde est beau et vaut la peine qu’on sa batte pour lui. »[2] Et alors nous repartirons au combat, et comme l’artificier de Pour qui sonne le glas avant son dernier souffle, nous pourrons « [espérer] y [avoir] fait quelque bien. »



[1] Pour l’agglomération de Metro Manila. En ce qui concerne la municipalité de Manille en elle-même, on compte 1 660 714 habitants sur 38,55 km2 d'après le recensement de 2007. La densité atteint donc 43 079 habitants au km², soit, selon certaines estimations, la ville la plus densément peuplée du monde. Pour comparaison, Paris a une densité de 25 679 hab/km2. Pour encore mieux se représenter la chose, sachez qu’il n’y a quasiment pas d’immeubles à Manille…

[2] Ernest Hemingway, Pour qui sonne le glas, (1940), Gallimard, Folio, traduction Denise Van Moppès, p. 495. La citation suivante est tirée de la même page.

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16 janvier 2012

Epices

1_BatiksNous sortons d’une fabrique de batiks, ces tissus traditionnels dont les fins motifs sont peints avec de la cire pour résister aux teintures. Nous nous approchons du kraton, le palais du sultan, vaste complexe de vingt-cinq milles habitants dont mille travaillent pour le sultan, centre politique et culturel régional, attraction touristique de Jogyakarta. Nous devons en contourner les parties interdites pour progresser vers la Grande Mosquée. Nous nous arrêtons un instant à un carrefour.

 

Un homme d’une quarantaine d’années nous aborde. Que va-t-il nous proposer : visite guidée, spectacle de théâtre de marionnettes, de théâtre d’ombres de marionnettes, de théâtre dansé, ou fabrication de ces marionnettes, batiks, souvenir, trajet en becak[1], en taxi, massage ou que sais-je encore ? Avons-nous déjà visité le palais ? Oui, ce matin répondons-nous poliment. Avons-nous vu le théâtre de marionnettes ? Oui, nous en avons regardé un bout. Nous ajoutons, sincères, que nous avons trouvé cela très beau, pour répondre à son franc sourire et lui faire plaisir. Il nous remercie et précise qu’il est musicien pour le théâtre dansé, dont la représentation hebdomadaire a lieu le surlendemain. Malheureusement, nous ne serons plus à Jogyakarta. Ah, dommage. Connaissez-vous le palais de la princesse ? Je peux vous y emmener, c’est sur ma route. Nous avons repris notre marche depuis quelques instants, et ce monsieur souriant nous suit. Nous demandera-t-il quelque chose une fois arrivés chez la princesse ? Avec Laurie, nous échangeons un regard et répondons que non, nous ne l’avons pas vu et que nous le suivons volontiers. Quelques instants plus tard, après avoir discuté à propos de nos familles respectives, le monsieur souriant nous indique un large bâtiment. Il nous serre la main, cela a été un plaisir de vous rencontrer, et continue son chemin.

 

A peine avons-nous fini de profiter de nos sourires étonnés et complices qu’un autre monsieur s’approche. Il a moins 2_Palais_de_la_princesse__Jogyakartade cheveux que le précédent, et surtout moins de dents. Il commence à nous parler et nous donne des informations générales sur le bâtiment. Il nous invite à découvrir de plus près le pavillon, et se déchausse lui aussi pour nous accompagner dans le vaste espace marbré que recouvre une toiture magnifique. Alors que nous avons remis nos sandales et que nous sommes sur le point de partir, le monsieur dégarni nous hèle en s’empressant de terminer ses lacets. Je connais l’atelier où sont fabriquées les marionnettes du kraton, je peux vous y emmener, c’est sur ma route. Avec Laurie, nous échangeons le même regard que tout à l’heure, et prenons la même décision : nous verrons bien, et s’il demande quelque chose, nous ne lui donnerons pas.

3_Marionnette_d_ombresLe monsieur dégarni travaille pour le Club Med de Kuta, à Bali. Sa mère est professeur de danse pour ceux qui auront l’honneur de se produire au sein du kraton, au nom du sultan. Pour autant, se hâte-t-il d’ajouter, elle gagne très mal sa vie, c’est pourquoi il lui donne une partie de son salaire de standardiste. Il précise que tous ceux travaillant dans le kraton pour le sultan sont dans ce cas de figure, que le prestige est bien peu de choses et que tous ceux ayant l’opportunité d’un autre emploi la saisissent. Nous le suivons dans le dédalle de ruelles étroites. La végétation donne un air de méditerranée à ce calme détonant pour une agglomération si trépidante. Nous parvenons à un atelier, où un homme est penché sur du cuir. Le monsieur dégarni nous dit qu’il va s’acheter des cigarettes. Un second artisan entame des explications détaillées sur l’histoire, le sens et la confection des marionnettes du théâtre d’ombres. Nous passons plus d’une heure à l’écouter et à le questionner. A la fin, il nous propose doucement d’acheter certaines pièces. Il n’insiste pas, et nous remercie de notre attention et de notre curiosité.

Devant l’atelier, le monsieur dégarni fume sa cigarette sur un banc, en compagnie de deux autres personnes. Nous voyant sortir, il se lève et nous demande comment nous avons trouvé la visite. Passionnante. Il en est ravi, et nous invite à le suivre. Quelques mètres plus loin, il s’arrête, il est arrivé. Il nous montre notre chemin, nous serre la main, cela a été un plaisir de vous rencontrer, et s’en va. Deuxièmes sourires, réjouis et complices.

 

Nous avons maintenant le kraton derrière nous, et ne devons plus être loin de la Grande Mosquée. Nous faisons une pause pour regarder le plan. Un homme, plus jeune que les précédents, s’arrête à notre hauteur. Puis-je vous être utile ? La Grande Mosquée ? Derrière vous, à cinquante mètres sur la droite. Nous nous apprêtons à le remercier mais il continue : vous feriez mieux d’y aller dans une heure, quand les enfants apprennent le Coran, ou alors dans deux heures, juste avant la prière du soir. Merci beaucoup pour ces conseils. De rien. L’homme nous sourit, nous souhaite une bonne fin de journée et reprend sa marche. Troisièmes sourires, radieux et complices.

 

6_JogyakartaQuel est l’élément, le composant qui nous a plu, qui nous a fait du bien dans ces rencontres ? La surprise, entre autres. La surprise d’avoir vu trois fois de suite nos craintes réalistes être erronées. Ce n’est pas uniquement cela. Nous savons qu’il existe des belles personnes, mais c’est comme si, désabusés ou lucides, on ne s’y attendait plus. Quelle qualité, quelle forme nous a plus, nous a fait du bien au cours de notre périple à Java, Bali et Lombok ? L’inattendu, ou quelque chose comme l’inconnu alors ? Les villes sur-grouillantes aux gens calmes, les trains chaleureux, les dessins géométriques des plantations de thé brumeuses, le bleu laiteux d’un lac de sulfure, des temples gigantesques et millénaires, les volcans striés émergeant d’une mer de vapeur, les eaux transparentes et turquoises des îles, le carnaval aquatique, les baies où, sur une fine langue blanche, se joignent les éclats du bleu de la mer et du vert de la forêt, les pêcheurs dont les bateaux colorés ressemblent à des araignées maladroites, leurs flotteurs latéraux formant des pattes toutes raides, les villages en chaume, la poterie décorée de coquilles d’œufs et de vannerie, les statuettes, les masques, les côtes aux falaises et au vert écossais qui entourent des plages aux eaux paradisiaques, les temples balinais, les sources sacrées, les défilés religieux, les fraises, les rizières,… Oui, tout cela avait un air d’inattendu ou d’inconnu.

D’ailleurs, chacun à sa mesure, que cherchaient les explorateurs et que cherchent les touristes dans leurs pérégrinations respectives ? En 1505, lorsque les Portugais accostent ce qui deviendra bien plus tard l’Indonésie, ils viennent pour le commerce, mais de denrées particulières : les épices (clou de girofle, macis et noix de muscade). Relever le goût, échapper à l’insipide. N’est-ce pas la fonction que les travailleurs occidentaux donnent à leurs escapades touristiques ? Le confort relatif de leur vie berce un quotidien tendu et masque un avenir incertain. Une tenace envie de piment les taraude ; un sourd besoin de nouveau nous traverse.

« Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »[2] C’est ce cri de Baudelaire que je formule comme vœu pour 2012. Car, à l’aurée d’une nouvelle année aux augures moroses, souvenons-nous que nous pouvons trouver le nouveau quelque part, et surtout l’inventer ici et maintenant.

 

 



[1] Bicylette-rickshaw

[2] Charles Baudelaire, Le Voyage, in Les Fleurs du Mal, 1861, Gallimard 1996, p. 182

23 novembre 2011

J’aime pas les touristes.

J’aime pas les touristes parce qu’ils sont là.

J’aime pas les touristes parce leurs appareils photo ont remplacé leurs yeux.

J’aime pas les touristes parce qu’ils prennent tous les mêmes photos.

J’aime pas les touristes parce qu’ils capturent des cartes postales qu’ils ne manqueront pas de présenter comme des trophées prestigieux.

J’aime pas les touristes parce qu’ils prennent les gens en photo comme au zoo.

J’aime pas les touristes parce qu’ils veulent du dépaysement en vivant comme au pays.

J’aime pas les touristes parce qu’ils veulent de l’exotique tout en ayant une douche chaude et le wi-fi.

J’aime pas les touristes parce qu’ils se prennent pour des baroudeurs alors qu’ils ne sont que des consommateurs.

J’aime pas les touristes parce que leur bonjour est toujours accompagné de la même question : « à combien t’as eu ta chambre d’hôtel ? »

J’aime pas les touristes parce qu’ils chipotent pour quelques centimes alors qu’ils ont claqué des milliers pour prendre l’avion.

J’aime pas les touristes parce qu’ils attendent que les bons sauvages soient souriants et gentils.15_Akha

J’aime pas les touristes parce qu’ils s’offusquent quand les sauvages ne sont ni souriants ni gentils, alors qu’eux-mêmes édifient au quotidien un monde où il faut s’écraser les uns les autres.

J’aime pas les touristes parce qu’ils viennent de pays riches, qu’ils y retournent sans rien d’autre que des photos, et surtout pas un sentiment comme quoi leur monde est vraiment merdique et mérite vraiment d’être changé.

J’aime pas les touristes parce que j’en suis un.

 

Alors ça me renvoie ce que je n’aime pas en moi, en cette société occidentale et en cette humanité.

 

Les voyages pour s’ouvrir au monde, faire tomber des préjugés, pour se changer positivement ? Rien du tout. Un Disneyland géant, c’est tout ce à quoi ressemble notre monde.

Tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau. Si seulement il n’y avait pas de méchants (dictateurs,  terroristes, banquiers, pauvres) notre monde (capitaliste) serait vraiment parfait (pour les gentils riches qui ne veulent que du bien puisqu’ils le disent, et pour les pauvres qui s’ils en voulaient vraiment s’en sortiraient), parce qu’au fond on est tous frères (même le riche du nord et le pauvre du sud, même l’actionnaire et le licencié).

 

Finalement, j’aime bien les touristes. Parce qu’ils me foutent la rage. Et la rage, c’est bon : énergie inépuisable et renouvelable, qui rallume les valeurs pour lesquelles on a tendance à se résigner. La justice, le partage, la créativité, le respect de la nature, et surtout de nous-mêmes.  

23 novembre 2011

Le pays où les buffles vont à la plage – Et où un adolescent handicapé participe à un Festival International de Danse

1_Buffles___la_plageBienvenue au pays où les buffles vont à la plage. Les vaches, les chèvres et les cochons aussi d’ailleurs. Sur les rives de la Nam Ou, au nord du Laos, le début de la saison sèche laisse apparaître des plages de limon. Les buffles s’y prélassent, alternant bains d’eau marron et de soleil doré.

Plus haut, les villages de bambous s’affairent. Tranquillement, mais sûrement. Qui va à la pêche, qui va couper du bambou, qui va s’atteler à la réfection des murs en natte de bambou, qui va recréer des potagers sur les bords délaissés mais fertilisés par la rivière. Qui va récolter le riz, qui va à la chasse, qui va à la cueillette, qui va sonder les mares à la recherche de crabes d’eau douce.

Lorsque j’arrive à Ban Hat Sao en fin d’après midi, les cueilleurs de riz, de bambou, de crabes ainsi que les 6_Portage_du_bamboupêcheurs, chasseurs et « bufflers » sont en train de rentrer. Entre les maisons sur pilotis, les enfants jouent. D’autres mettent la main à la pâte des travaux de subsistance. Et l’un d’entre eux use ses bras pour se défaire des anfractuosités du chemin de terre battue. Bloqué, il maugrée, recule et repart jusqu’à être de nouveau bloqué. Il a une jarre entre ses jambes arquées de manière bizarre. Ses jambes qui ne le soutiennent pas. C’est un fauteuil roulant qui le porte. Un fauteuil bricolé avec des roues de vélo, une chaise en plastique et beaucoup d’ingéniosité.

Destin terrible. Serait-il mieux dans une institution spécialisée, à des heures de trajet de sa famille ? Je ne sais pas ; et de toute façon il n’en existe encore que si peu[1]. Au moins est-il au sein de sa communauté villageoise. Quel statut a-t-il ? Comment est-il traité ? Je n’en sais rien. Ou tout du moins quelques suppositions : du fait des croyances en les esprits et en la rétribution des actes d’une vie à l’autre, son handicap serait considéré comme une malédiction méritée.

Horrible ? L’est-ce plus que notre exclusion, plus rationnelle mais tout autant disqualifiante ? Certes, nous pensons valoir mieux que les superstitions. Néanmoins, le culte de la performance et de la perfection postmoderne possède également leurs effets « collatéraux ».

 

Cette rencontre avec l’enfant à la jarre fait rejaillir l’image de cet adolescent mutilé sur la scène du Festival International de Danse de Vientiane. Comme tant d’autres laotiens, sa vie a basculé lorsqu’elle a rencontré un objet non explosé[2]. Il a perdu ses avant-bras. Sa détermination, le soutien de COPE[3], de Handicap International et l’ouverture d’esprit de Lao Bangfaï, le premier groupe de hip-hop laotien, lui ont permis de développer sa passion pour cette danse.

Sa performance, si perfectible fût-elle, dégagea une force inouïe. Et que dire du bonheur qu’il eût à honorer le rappel jusqu’à ce que seul l’essoufflement ne puisse l’arrêter ? Simplement que ses larmes de joie formèrent un fleuve plus sacré que le Mékong.

Je tiens à transmettre ce sourire mouillé à tous les travailleurs sociaux qui œuvrent à unifier les hommes par-delà leurs normes erronées. Pour leur diffuser l’énergique espoir de ce danseur, tandis que chaque jour leur action semble être couverte par une couche supplémentaire de mépris social.

« Ce n’était qu’un sourire, rien de plus. Il ne résolvait pas tous les problèmes. Ni même aucun, d’ailleurs. Juste un sourire. Un détail.  (…) Mais qu’à cela ne tienne, je m’en accommodai de grand cœur. Parce que la neige s’efface flocon après flocon à l’arrivée du printemps, et peut-être avais-je été témoin de la fonte du premier d’entre eux. »[4]    

Alors que la finance et la résignation étendent leur froid manteau au point de brûler les moindres cellules de notre dignité, nous pouvons tous être un printemps pour les faire fondre, en soi, autour de soi, et surtout ensemble.



[1] A ma connaissance, il n’en existerait qu’une seule. Le centre national de réadaptation de COPE accueille à Vientiane des enfants dont le handicap est dû aux engins explosifs non désamorcés. Il accueille quelques enfants porteurs de maladie orpheline, mais de manière marginale. Cooperative Orthotic and Prosthetic Enterprise est une organisation internationale : voir www.cope-laos.org. Quant à Power International, il supporte Lao Disabled People Association. Cette association locale promeut les droits de ces personnes, mais n’a pas créé d’institutions ou des services d’accompagnement.

[2] Pendant la guerre du Vietnam, plus de 2 millions de tonnes  de bombes ont été lâchés par les Etats-Unis sur le territoire laotien ; ce qui fait du Laos le pays le plus durement frappé de la région. Aujourd’hui, il y aurait encore au Laos plus de 10 millions de mini-bombes non explosées.

[3] Voir note 1

[4] Hosseini Khaled (2003), Les cerfs-volants de Kaboul, Belfond 10/18 Domaine étranger, Paris, 2005, p. 406.

6 octobre 2011

Ordinaire de l’extraordinaire

P1080016Lors d’une randonnée dans la zone protégée de Phu Hin Bhu [voir album photographique "Ordinaire de l'extraordinaire"],  ce qui me paraissait extraordinaire constituait l’ordinaire du guide. J’ai renversé la situation en imagination, et je me suis souvenu de notes prises un soir, en rentrant du travail.

Voici l’ordinaire de la protection de l’enfance, de ses professionnels, de ses familles.

 

Un père qui n’a plus vu son fils depuis cinq mois. Ce père à l’ancienne – beau-père légal en fait – a fini par ne plus supporter le fils gâté de sa compagne. Et son fils adoptif a fini par ne plus supporter le contrôle abusif de son père.

Un fils qui ne veut plus voir son père, qui le déteste, et qui ne peut s’empêcher de l’aimer, un peu, si peu mais quand même.

Une grand-mère qui voulait accueillir son petit-fils de sept mois. En réaction à la défaveur du rapport du service éducatif, elle souhaite que dix-huit ans plus tard son petit-fils retrouve l’éducateur pour lui dire que c’est de sa faute s’il a été placé.

Une mère apeurée sort de son terrier après des jours à s’être cachée. Elle crie, paniquée, pour réparer l’irréparable. Sans ressources, sans ressort, pleine de peines, elle n’a pas pu toujours donner de quoi manger à son bébé et à sa jeune fille, elle n’a pas pu leur apporter de l’affection, du jeu, ni la moindre règle ni l’ombre d’un rythme. Elle n’a pas pu saisir les aides. Elle n’est plus que panique, cette retardataire tranchante qui donne de l’énergie lorsque la partie est jouée. Elle panique car son bébé va être placé.

Un père qui s’esquive devant les incitations à s’impliquer dans son rôle.

Un enfant de neuf ans qui hurle, gratte les murs de ses ongles, bave, hurle, hurle. Sa petite poitrine va éclater. Autant de souffrance dans un si petit corps, ça ne peut pas tenir. Douleur indicible de ne pas pouvoir voir son père et de l’avoir en soi, ce père qu’il admire comme tout enfant de son âge, ce père qui battait sa mère. Son père continue de harceler sa mère, de harceler les enfants pour la faire craquer, pour l’obliger à revenir au foyer. Sa mère ne pleure plus de ces crises. Elle a mis des joints sur les portes pour que les crises soient moins bruyantes. Elle se bat, jour après jour, pour que son fils s’apaise, pour qu’il cesse de la rendre responsable, pour qu’il cesse de croire que lui seul peut sauver son père. Elle se bat pour échapper à l’emprise diabolique du père, pour continuer à vivre, à avancer, à élever ses enfants. Elle se bat, admirable d’amour et d’abnégation.

 

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9 septembre 2011

Sabaïdee(1) ! Des bienfaits du sourire

Luang Prabang, l’ancienne cité royale du Laos, est derrière nous. La route menant aux cascades de Tat Sae s’élève. Juchés sur des vélos forcément trop petits vu la différence de gabarit entre les laotiens et les européens, nous pâtissons d’autant plus du faible dénivelé que ces engins ne comptent qu’une seule vitesse. Alors nous descendons de nos montures et poussons. Laurie reste stoïque, moi je boue et la transpiration dégouline en perles charnues.

22_Village__avec_la_maison_garage___droiteLa descente, enfin. Nous enfourchons nos bicyclettes certainement conçues pour la Hollande ; ou tout simplement pour flâner dans le plat centre ville. Crevaison. Un groupe de jeunes nous croise, hilares. Pas de la crevaison, mais du serpent qu’arbore l’un d’eux sur ses épaules. A une centaine de mètres, un village. Cela tombe bien. La première baraque consiste en une maison-garage. La grand-mère est alanguie au côté de son petit fils. Le grand-père dort face à la télévision et au ventilateur. Elle le réveille, il se met au travail, consciencieusement. Ayant terminé sa tâche, il nous demande, en toute honnêteté, le prix normal. Le sourire de la grand-mère accompagne notre départ.

 

Au retour, nous passons aux abords d’un autre village. Des enfants jouent. Une fois qu’ils nous ont repérés, ils se mettent en ligne au bord de la route. « Sabaïdee ! Sabaïdee ! » Leurs sourires s’élargissent pour former un accueil chaleureux. Ils tendent une main pour que nous tapions dedans, et lorsque cela est fait, éclatent de rire, puis courent pour recommencer. D’autres aident Laurie en la poussant. Ma chaîne déraille, je descends, et pas le temps de prendre une feuille pour éviter d’enduire ma main de cambouis qu’un des loustics l’a déjà replacée. A mon « kawp chaï »[2] répond un nouveau sourire. Ma mauvaise humeur avait déjà été lavée par la famille-garagiste, son sourire et son honnêteté déconcertante pour un voyageur occidental. Elle avait ensuite été bien lavée par la sorte de mangrove formée des bassins étagés de Tat Sae. Désormais, elle coule loin de moi. Merci les enfants.

11_D_tail

 

« En étant heureux, nous répandons des bienfaits anonymes sur le monde. »[3] R. L. Stevenson aurait certainement beaucoup apprécié les laotiens. Et si nous nous en inspirions, pour orienter nos vies moins pour s’enrichir et plus pour sourire ?



NB: L'album photographique en lien avec la chronique se nomme aussi Sabaïdee. Il contient 31 images: temples, bonzes, cascades, ours, etc.

[1] « Bonjour » en laotien.

[2] "Merci"

[3] R. L. Stevenson, Une apologie des oisifs, éditions Allia, 1999, p. 23 (1ère édition de cet article : 1877, Cornhill Magazine)

12 août 2011

Voyage vers le centre de la Terre, de soi et des autres

Abraham[1] est dans le décrochage scolaire, dans l’évitement des contraintes, l’esquive des efforts, le mensonge face à la réalité. Aujourd’hui, il est une sorte de chat botté dans une tenue rouge coiffée d’un casque à lampe. Il s’apprête à entrer dans la Grotte Roche.

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En même temps qu’il hallucine de cet empire minéral, Abraham ne fait pas le malin. Il reste près des deux adultes, s’assure, se réassure de leur fiabilité. Quand Jérôme, le moniteur de spéléologie et éducateur spécialisé, lui demande de passer par un étroit goulet, il répond qu’il n’y arrivera pas. Il y arrive. Quand Jérôme lui explique le cycle de l’eau et la formation des stalactites, Abraham affirme avoir compris, mais ne peut pas réexpliquer. Patiemment, fermement, Jérôme reprend son exposé jusqu’à ce qu’Abraham puisse l’énoncer. Abraham touche la différence entre entendre et écouter, entre faire semblant et être authentique. Il touche l’effort de la concentration, le plaisir de l’éveil.

 

En sortant de la Grotte Roche, Abraham s’enquiert de l’heure auprès de Jérôme. Celui-ci lui demande de donner une estimation. Comme celle qu’avance Abraham s’avère juste, Jérôme lui réplique : « Tu vois, quand on se bouge, on apprécie bien plus le temps, alors imagine tout le temps que tu as perdu à faire tes conneries ! ». Le visage d’Abraham prend une moue surprise, interpellée, comme s’il venait de percuter, de visualiser toute la pertinence du propos, toute l’importance d’enclencher un changement. 

 

Ce voyage vers le centre de la Terre s’est effectué au cours d’un séjour de deux jours dans le Vercors. Alors que l’éducateur référent d’Abraham (moi) était coincé par la persistance de son esquive, le Service Educatif en Milieu Ouvert avec Hébergement (SEMOH) d’ARETIS[2] a cherché à tenter, à ouvrir un possible. Le « séjour de remobilisation adaptée » animé par Jérôme Egret a ouvert un possible, pour Abraham, et pour le SEMOH.

Qu’en fera Abraham ? Nul ne peut savoir. Mais ce possible existe, il forme un jalon sur lequel les adultes pourront s’appuyer pour faire grandir Abraham, pour qu’à son tour Abraham s’appuie sur ces expériences pour changer son attitude.

Qu’en fera le SEMOH d’ARETIS ? Je ne peux prédire. Néanmoins, je sais que les professionnels ont intégré cette expérience comme source d’inspiration pour aménager du partage de vécu, pour sortir des sentiers balisés de l’AEMO conventionnelle. Une expérience face à la fatigue, face au sentiment d’impuissance, face à l’intensité ; une expérience qui incarne le possible de la créativité et du pas de côté.

 

Cet humble et bref voyage dans l’environnement sous terrain m’a transporté à la mesure du choc spatiotemporel reçu de la main sans âge du minéral. La différence d’échelle temporelle m’a sidéré. L’espace m’a fasciné : obscurité, absence de toute vie végétale et animale, règne à la fois discret et impétueux de l’eau, alternances et imbrications de formes, passages brutaux de salles étendues à d’interstices étriqués, stalactites, stalagmites, colonnes, marmites, … J’ai été remis à ma place : celle d’un presque rien, celle d’humain. A me sentir tout petit et fragile, j’ai senti tout ce qui peut réparer ma fierté d’humain : ma capacité à agir sciemment sur moi-même et sur mon environnement.

Mon environnement est le vôtre. Si celui sous terrain me fascine, celui du dessus me déprime et m’enrage et m’émerveille. La crise est érigée en norme permanente, l’exploitation du plus grand nombre par le plus petit est portée plus loin que jamais par la mondialisation libérale, les banques dominent, les peuples s’affolent, le décalage entre les représentants du peuple et le peuple ne cesse de se creuser, partout. Là-bas, des humains se soulèvent, meurent et gagnent, parfois dans le concret, toujours dans la dignité. Ici, rien n’est possible, tout est joué d’avance, il-n’y-a-pas-d’al-ter-na-tive.

« Dans cet écoulement et cette évaporation de l’argent, il n’y avait point d’étalon, point de valeur fixe, il n’y avait plus qu’une seule vertu : être adroit, souple, sans scrupule, et sauter sur le dos du cheval lancé au galop, au lieu de se faire piétiner par lui. […]

(…) trompés nous tous qui avions rêvé d’un monde nouveau et mieux réglé, et qui constations que les mêmes ou de nouveaux hasardeurs reprenaient le vieux jeu où notre existence, notre bonheur, notre temps avaient servi de mise. »

P1070496Qui a écrit ces lignes ? Stefan Zweig, en 1941, dans Le Monde d’Hier – Souvenirs d’un européen[3]. Triste reconnaissance de notre époque dans la sienne, de laquelle jaillit un élan impérieux : il peut, il doit y avoir des alternatives.

L’humain est capable de prodiges et de crimes, il est pire qu’un loup pour l’homme car le loup ne maltraite ni sa femelle ni ses petits. Mais l’humain possède cette capacité à agir sciemment sur soi-même et sur son environnement. L’humain a cette capacité à donner son sein, alors que son enfant mort né n’est pas encore enterré, à donner son lait à un homme mourant de faim[4].

En soi, en nous, il y a ces capacités, il y a ces possibles.



N.B. voir l'Album photo "Voyage vers le centre de la Terre" pour quelques images

[1] Le prénom a été modifié.

[2] C’est le service dans lequel j’ai travaillé ces six derniers mois. Dans le cadre d’une décision du Juge pour Enfant, il a pour mission d’apporter aide et conseil à la famille afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre ; de suivre le développement de l’enfant ; d’assurer un hébergement exceptionnel ou périodique du mineur. La protection de l’enfance est fondée sur le fait que « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel » à la condition que son intérêt soir préservé dans « la prise en compte des es besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits » (art. L.112-4 du Code de l’Action Sociale et Familiale). Cf. Projet SEMOH de l’Association Recherche Education Territoires Interventions Sociabilités

[3] Zweig Stefan (1944), Le Monde d’Hier – Souvenirs d’un européen, Stockholm, Bermann-Fischer Verlag AB ; citation de l’édition Belfond 1993, respectivement p. 360 et p. 368.

[4] Scène finale de Les raisins de la colère de John Steinbeck (1939)

14 avril 2011

Passeurs de hasards et mornes normes

 

Je me souviens de cette fille agenouillée. Elle devait avoir six ans. Elle ramassait des légumes avec sa mère1_Fille_de_Komic et sa petite sœur. Son visage était  détendu, léger, ses gestes consciencieux. Elles riaient toutes trois. N’était-t-elle pas à l’école à cette heure-ci ? En tout cas, elle semblait heureuse aux champs. M’ayant aperçu, elle accourut pour me demander le célèbre « chocolate ». Je n’en avais pas, et n’aurais pas tenu à lui en donner. Cependant, je lui sortis une pomme de mon sac. La douceur de son « thank you » l’emporta sur la pointe de dépit qu’arborait le coin de ses petites lèvres. Je quittai le village de Komic et continuai ma balade, et j’étais plus joyeux.

Je me souviens de cette petite fille à peine plus haute que trois pommes. Elle portait fièrement une hotte miniature, réplique à son échelle de celles de ses deux grandes sœurs d’environ huit et onze ans. Elle déambulait avec son plaisir de faire comme une grande : apporter du fourrage pour les chèvres. Parcourant les villages des collines népalaises, je me dis alors que cette école là semblait lui donner formidablement envie de grandir, et lui transmettre les moyens de le faire au regard de son environnement.

2_Enfant_du_KhumbuJe me souviens de ce garçon qui devait à peine avoir dix ans et déjà un regard morne. Dans la vallée du Khumbu, assis au bord du chemin, il se reposait. La hotte dans laquelle il collectait les bouses sèches de yaks était calée derrière lui. Ses yeux, tristement, attendait. N’allait-il pas à l’école, ne se voyait-il pas offrir l’opportunité d’un autre destin ?

Je me souviens de l’ironie de Samten. Son ironie possédait quelque chose de fébrile et d’amer. Ce jeune ingénieur ladakhi était né dans un village. Il avait quitté sa famille à sept ans pour être scolarisé à Leh. Son exil a continué au collège, au lycée, à l’université. Aujourd’hui, célibataire, il partage à Leh un petit appartement avec un ami. Ses liens avec sa famille se sont distendus, usés par la séparation et le fait d’appartenir à deux mondes différents. Il aimerait beaucoup se marier. La réussite, ce serait avec une occidentale. Mais dans la frénésie de la vie urbaine, au milieu de la modernité et de la tradition mêlées, son manque de confiance ne l’aide pas.

 

Je me souvenais de cette ironie, de cette tristesse, de cette fierté, de cette joie en écoutant la Directrice d’une fondation australienne. Cette fondation est dédiée à la scolarisation des enfants des villages ladakhis les plus reculés. Elle veille aux questions de transports et assure l’inscription des enfants dans une école et un internat de Leh. Aussi louable que semble cette démarche, est-elle automatiquement et uniquement synonyme d’amélioration ?

A Leh, comme dans beaucoup de pays « en voie de développement » - ou plutôt qui connaissent un développement répondant à d’autres normes que les nôtres, la qualité et le type d’éducation jouent beaucoup dans les effets de la scolarisation. L’illustration indienne est éloquente. Le modèle suivi correspond à une copie du modèle anglais. Dans sa périphérie, ce sont des copies de copie que transmettent les écoles (1). Ces pâles imitations excluent les compétences traditionnelles en les présentant comme méprisables. Déconnectées des spécificités des territoires, elles donnent les mêmes ressources à tous partout, créant de la rareté artificielle et de la compétition. 

Le savoir, la transmission gagnent à être adaptés localement, et non à être déterminés par des normes lointaines, aussi bienveillantes soient-elles. Des métiers (2), des repères, des valeurs peuvent alors être préservés, tout en élargissant la palette des possibles pour les jeunes générations.

 

L’exemple des limites de notre norme associant automatiquement école et amélioration indique les risques de la pensée normative. Elle paralyse l’innovation et répand des actions néfastes. Ainsi, la fonction sociologique de la marge qui renouvelle positivement la norme nous est rappelée. Et nous rappelle l’importance de défendre la position de marginal intégré.

Admettre et comprendre les processus structuraux est certes essentiel. S’y soumettre est dangereux, que ce soit au niveau sociologique et psychologique en tant que travailleur social, ou au niveau politique et économique en tant que citoyen. S’y soumettre, c’est tomber dans le piège du « tout est joué d’avance, rien n’est possible ». Chacun d’entre nous, travailleur social et/ou citoyen, en se gargarisant de sa formation et/ou de son sentiment d’être tolérant, n’est pas à l’abri de cet écueil.

A l’inverse, il s’agit de laisser la porte ouverte aux hasards. Essayons de se les passer, et surtout de les passer à nos enfants. Un encrier mal placé a bien sauvé Oliver Twist d’un métier qui l’aurait tué avant de rencontrer un tuteur de résilience (3). « Tout développement est une aventure (4) ». Participons à l’aventure, celle d’un pays, celle d’un monde comme celle d’un enfant. Participons à l’aventure, avec ouverture et appétit, plutôt que rester à regarder sur les écrans des mornes normes le scénario téléguidé du désenchantement.



[1] Norberg-Hodge Helena (1991), Ancient Futures, Learning from Ladakh, Oxford India Paperbacks, chap. XII.

[2] Voir Album « Hasards » et aussi « Confiture Ladakhie »

[3] Orphelin, Oliver Twist est élevé par l’asile municipal. Il passe devant un magistrat pour être confié à un ramoneur. Mais au moment de signer sa décision, le magistrat ne trouve pas l’encrier, ce qui l’amène à lever la tête, et voir la souffrance d’Oliver comme la scélératesse du patron, ce qui sauve l’enfant. Charles Dickens, Les Aventures d’Oliver Twist, chap. III.

[4] Boris Cyrulnik, Autobiographie d’un épouvantail, Odile Jacob, p. 272.

7 février 2011

Navette spatiale et liberté; Du Népal à la Tunisie en passant par la maison de Retis

            Nous arrivions à Syalagaon. La vallée de la Budhi Gandaki dont nous remontions le cours depuis quatre jours s’ouvrait enfin. Nous avions déjà dégusté les mets rustiques des « collines » : leurs dénivelés affolants, leurs forêts, leurs villages Gurungs, et le Budhi Himal en toile de fond. Nous avions savouré l’entrée chaude dans le fond de vallée, ses bananiers, ses bambous, ses cascades. Nous avions apprécié la montée progressive, ses atours minéraux, les retours en forêts, l’apparition des moulins à prière et des stupas.

Arrivés à Syalagaon et ses 3500m, nous pouvions étendre notre regard dans une telle mesure que nous sentions notre respiration plus profonde, plus large, comme si tout cet espace gonflait nos poitrines. Nous nous délections d’un paysage paré de pics, orné de vide et couronné par le Manaslu, étincelant dans le ciel pur.

10_Collines_du_Pahar_MoutardeJe me disais alors que l’espace sur lequel s’étend le Népal est une bénédiction. Moyennes montagnes, hautes montagnes, versants, niveaux, différences semées par la mousson de son orient à son occident : incroyable générosité de la nature. S’ajoutent, en descendant vers le sud, les collines du Pahar, puis celles du Mahabharat et du Churia, ces franges traversées par les vallées et quelques bassins. Enfin, le Teraï, à 100m d’altitude, sa jungle, ses rizières, ses palmiers, ses manguiers, ses rhinocéros et ses tigres. J’oubliais, tout au nord, le Trans-Himalaya et ses plateaux sans fin donnant sur le Tibet.5_Terai_Jungle

En même temps, je me rappelais la galère des transports routiers. Galère bien relative au regard de celle des villageois, dont l’unique infrastructure est le chemin pour les plus proches de la route ou de la rivière, la sente pour les autres. Traversé par les bandes géo climatiques évoquées plus haut, coupé par les rivières qui descendent du nord vers le sud, le Népal est quadrillé par une toile de dénivelés qui transforme le moindre déplacement en défi. La mousson, qui abreuve et permet cette magnifique diversité, creuse, ravine, déborde, paralyse, ampute. Elle noie les routes, pistes et chemins. Quant aux hautes vallées qui paraissent si grandioses à l’étranger, elles sont un piège hivernal pour ses habitants. Le Teraï, avec sa moiteur, est un nid de moustique et d’eau croupie. En un mot, l’espace du Népal est aussi une malédiction, et explique en grande partie sa pauvreté endémique.

            Rentré en France, ces réflexions me sont revenues sur l’asphalte des Alpes. Si facile de circuler dans notre pays. Elles me sont revenues à la pompe à essence, au péage, au parking, lorsque je regarde les prix de l’immobilier. Lorsque je regarde les immeubles, le béton, le béton, le béton. Et encore lorsque je regarde les montagnes qui croulent sous les téléphériques, les pistes, les stations, les lignes à haute tension et les autoroutes.

Cette petite navette spatiotemporelle m’amène à reconsidérer l’importance de nos rapports à l’espace. Ici, nous pensons l’avoir dompté, mais notre domptage a pris tant de place qu’il nous dompte à notre tour. J’ai oublié, nous avons oublié que « la liberté n’est ni une invention juridique ou un trésor philosophique, propriété chérie de civilisations plus dignes que d’autres parce qu’elles seules sauraient la prendre ou la préserver. Elle résulte d’une relation objective entre l’individu et l’espace qu’il occupe, entre le consommateur et les ressources dont il dispose. »[1].

Avec notre égo d’humain occidental à la pointe du « progrès », nous nous gargarisons de signes de liberté et nous nous cachons la réduction constante de son exercice. Nous serions bien moins inutilement usés et irrités « si nous acceptions de reconnaître les conditions réelles de notre expérience humaine, et qu’il ne dépend pas de nous de nous affranchir intégralement de ses cadres et de ses rythmes. »[2].

  Nos rapports à l’espace constituent dans ce sens une dimension essentielle dans laquelle nous pouvons mieux cerner les limites de notre liberté. Et ainsi plus la faire vibrer, là où cela est réellement possible. 2_Tera__Pecheuse

Pour les travailleurs sociaux, ces réflexions pointent une utilisation plus consciente et plus précise de l’espace comme moyen d’affranchissement des personnes accompagnées. Dans tous nos secteurs d’intervention, la compréhension des sujets peut être améliorée par une prise en compte plus aigue du critère spatial dans l’observation. Que nous montre un sujet dans une cuisine, une salle de bains, une salle à manger, une chambre, un bureau, un couloir ? Quel sens aux éventuelles différences d’attitude ? Les résonances culturelles, sociales et individuelles peuvent être riches d’enseignement : elles peuvent aider à dépasser le manque d’intelligibilité de nombreux comportements.

Par ailleurs, les pratiques d’entretien contiennent également une dimension spatiale dont nous pouvons nous saisir pour faire un pas de côté. Le lieu, le choix de la position (en face, à côté, loin, proche, etc.) et le jeu avec notre propre espace, notre corps, tracent des pistes pour dénouer les blocages et éviter le caractère parfois superficiel de la communication verbale.

Ces pratiques dans et par l’espace trouvent une illustration dans le service d’Assistance Educative en Milieu Ouvert avec Hébergement de Retis[3]. La maison qui permet les hébergements exceptionnels ou périodiques, forme de surcroît un instrument pour organiser des ateliers collectifs. Ces ateliers alimentent une relation de proximité et font bouger les représentations de chacun. Cadre plus convivial que des bureaux qui rappellent souvent aux enfants et familles le pouvoir administratif et judiciaire, cette maison sert ainsi à observer et à travailler les liens différemment, par exemple lors de repas avec l’enfant et son (ses) parent(s). Quant aux bureaux, ils comprennent des espaces classiques, formels, porteurs de cadre. Cependant, ils sont organisés autour d’un espace plus chaleureux, comprenant une cuisine ouverte, une grande table et des jeux pour les enfants. Les couleurs et le mobilier ont également été choisis pour mettre le plus à l’aise possible les personnes accueillies.

            Le critère esthétique n’est donc pas accessoire. Notre façon d’habiter et de façonner la Terre n’est pas anecdotique, elle livre des preuves des qualités et défauts de notre mode de vie. Elle exprime nos illusions qui souvent se retournent contre nous. La question écologique n’est ainsi pas qu’une histoire de vernis, mais une dimension fondamentale, politique au sens du vivre ensemble, entre humains et avec la Terre. En colonisant incessamment l’environnement, on ne détruit pas seulement la Terre, mais nous-mêmes. Acceptons que nous ne sommes pas grand-chose au regard de la Terre. Acceptons cette part de nature pour sauvegarder notre part de culture, cette part qui peut élever notre liberté véritable.

Et si vous n’êtes pas convaincus par mes propos, si vous n’êtes pas sûrs de leur justesse, alors nous sommes d’accord : « Rien n’est sûr, tout est possible donc. La nuit où nous tâtonnons est trop obscure pour que nous osions rien affirmer à son sujet : pas même qu’elle est destinée à durer. »[4]. Merci aux frères tunisiens de l’avoir rappelé. 

[1] Lévi-Strauss Claude (1955), Tristes Tropiques, Plon coll. Terre Humaine/Poche (réed. Oct. 2009), p. 169.

[2] Ibid., p. 137.

[3] Je travaille pour 6 mois dans ce service, dont la fiche descriptive est disponible sur le site de l’ONED http://oned.gouv.fr/docs/production-interne/pratique/dp_%2074_%20a_%20retis.pdf.

[4] Op-cit., p. 300.

22 décembre 2010

Cadeau de Noël: un peu "d'authentique"

Je suis sur le toit-terrasse de La Casa Lodge, l’hôtel dans lequel je vis. La nuit de novembre est douce, Kathmandou est calme, les rats commencent leur manège dans les tentures. J’écoute un jeune français arrivé ce matin. Il a voyagé aux Etats-Unis, en Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Corée du Sud, et vit en Hollande. Il s’agit de sa première excursion hors de la civilisation occidentale, ou plutôt hors des pays « riches ». Qu’en attend-il ? « Trouver de l’authentique ».

1_Fillettes_de_LaprakAlors qu’il s’enflamme par avance de ce qu’il semble certain de découvrir, mes pensées s’échappent vers le Far West du Népal et me plongent dans le printemps 2007. Je m’étais rendu dans le district de Bajhang, pour remonter la rivière Seti jusqu’à la frontière tibétaine, pour connaître une des zones les plus reculées, pour vérifier si dans ces endroits au moins les hommes étaient bons.

Trois jours de bus sur route, puis deux sur piste, et enfin deux heures de marche avaient été nécessaires pour atteindre la préfecture de ce district. Après une dizaine de jours de randonnée à travers les hameaux, nous étions parvenus au dernier d’entre eux, Dhuli. Un bout du monde.

J’arrivai le premier, loin devant mon ami népalais et les trois porteurs. Je rencontrai deux villageois qui, étonnés de voir un blanc, me demandèrent dans quel pays était ma maison. Au mot « France », ils éructèrent ensemble : « Zinédine Zidane ! Et vous avez perdu la finale de la Coupe du Monde ! Vous avez perdu, vous avez perdu ! ». Et de partir dans des rires moqueurs. Ravalant la question de savoir si l’équipe du Népal avait remporté ne serait-ce qu’un match international, je leur demandai où je pouvais trouver une auberge. Ils m’amenèrent chez l’un d’eux qui possédait la seule petite échoppe du village, au rez-de-chaussée de sa maison.

Le villageois me dît d’attendre. Ce que je fis. Pendant une heure. Je me permis alors de demander s’il était possible d’aller à l’intérieur pour m’allonger. Le villageois s’énerva, me lança que sa maison n’était pas un hôtel et me menaça de ne pas nous accueillir, mes acolytes qui allaient arriver et moi. Bien que bouillonnant, je m’excusai platement et attendis. Le villageois daigna me faire entrer une heure plus tard, lorsque mes coéquipiers népalais arrivèrent. Je tiens à signaler qu’au cours des jours suivants passés à Dhuli, il n’y eut aucune restriction à rester dans la maison en journée, ce que faisait d’ailleurs une partie de sa famille. De plus, le prix qu’il nous fît payer constitua la preuve irréfutable du caractère hôtelier de son accueil.

Voilà une rencontre que je qualifierais d’authentique. Est-ce cette authenticité que ce jeune français et tant d’autres touristes viennent chercher ? Ou serait-ce une part d’eux-mêmes à laquelle ils ont renoncé pour mener une vie normale, une supposée pureté à laquelle ils ne croient plus pour eux ni pour leur propre société ? Une part que leur mode de vie écrase chaque jour un peu plus. Spectateurs de la société mondiale, ils cherchent à se fuir : ce qui leur convient est l’absence de trace occidentale, de la méchanceté de l’homme moderne. Comme si les « bons attardés » des pays « pauvres » ne pouvaient être que gentils et le progrès ne pouvait être qu’inéluctablement lié à la nature égoïste et destructrice de l’homme.

Procès d’intention, me direz-vous. Non. Ce jeune français, lorsque je l’ai croisé de nouveau une dizaine de jours plus tard, s’extasiait d’avoir rencontré de « vrais gens » en se rendant à un endroit où « personne ne va ». En fait, il était allé dans une vallée proche de celle de Kathmandou. Une vallée certes pas ultra fréquentée, mais beaucoup plus que son guide ne lui avait dit. Ce dernier avait certainement saisi ce que son client – et oui, aussi charmants soient-ils, les guides népalais considèrent à juste titre les touristes comme des clients, et non comme des amis ; ce que son client donc, était venu chercher.

21_Collecte_de_bouses__Samdo___3690m_Aussi, la recherche d’authenticité est souvent effectuée pour la contempler comme un objet perdu, comme une source de nostalgie. Cette recherche permet également de se saisir de l’authenticité supposée comme d’un moyen de différenciation dans la compétition des meilleures vacances, afin de faire retomber sur soi la magie charriée par ces contrées éloignées. Dès lors, le touriste-chercheur, à défaut de trouver l’authenticité attendue dans la réalité, l’invente dans ses représentations de son voyage.

Pour autant, vous pensez peut-être que je me suis bien gardé d’avancer mon point de vue sur ce qui peut être authentique.

Pour rester au Népal, ce qui me paraît authentique est, par exemple, la treizième tentative d’élection du Premier Ministre à l’Assemblée Constituante. Dans le genre véritable, il y a également la demande des partis dominants faite à l’UNMIN, la mission des Nations Unies chargée d’accompagner les népalais dans le processus de paix[1] : alors que la rédaction de la Constitution et l’intégration des ex-combattants maoïstes n’ont pas avancé d’un iota, et que l’UNMIN quittera le Népal début janvier, ces partis n’ont rien trouvé de mieux que de réclamer à cette mission qu’elle laisse son matériel (ordinateurs, voitures, hélicoptères, etc.) après son départ.

Je peux aussi évoquer le sort d’une ONG présente au Népal depuis cinquante-huit ans, dont le renouvellement d’agrément et donc l’ensemble de ses programmes sont suspendus depuis trois mois, du fait d’un conflit entre le Ministre des Femmes, Enfants et de l’Aide Sociale et le Directeur de l’agence chargée de délivrer les agréments. Ces deux hommes sont en effet issus de partis rivaux.

Quittons les sphères politiciennes. Alors qu’un quart des urbains et près de la moitié des ruraux connaissent une situation de haute insécurité alimentaire[2], des citoyens népalais ont organisés de fausses pénuries afin d’augmenter leurs bénéfices. Au rayon des situations nées de comportements incontestablement sincères, je vous propose par ailleurs l’inégalité homme/femme : dans les villages du Mustang, le travail quotidien des hommes s’élève à dix heures et demie, tandis que celui des femmes atteint seize heures. La situation est sensiblement la même sur l’ensemble du territoire[3].

Je pourrais encore faire part de l’envie générale des népalais de se moderniser : course aux téléphones portables, aux derniers modèles de motos, à une maison plus grande que celle du voisin, etc. Je pourrais enfin présenter cette société comme étant organisée sur des comportements où l’autre ne constitue qu’une opportunité à saisir : l’inférieur est à écraser, le supérieur à cajoler par obséquiosité ou à embobiner par filouterie ou fourberie[4]. Et je pourrais quand même parler de l’incroyable tranquillité, joie de vivre et pugnacité des népalais.

La recherche de sincérité, de bonté, de partage, envisagés comme des paradis perdus et maintenus vivants dans les pays « pauvres », s’accommode donc très mal de la réalité. Serait-ce sans espoir, n’y aurait-il que la côté obscur dans la force humaine ? Non, l’authenticité est là, dans chacun d’entre nous. Plutôt que de chercher ailleurs les reflets de nos espoirs enfouis par la normalisation du chacun pour soi, mieux vaudrait commencer par changer sa propre vie. Cela est une question de sens : voulons-nous alimenter notre terrible machine économique ou recréer du vivant ?

13_Sortie_d_ecoleDès lors, la sempiternelle leçon apprise et rabâchée par les touristes s’étant rendus dans les pays « pauvres », celle du « Au moins là-bas, ils ne se plaignent pas, nous faut qu’on apprenne à relativiser, qu’on arrête de se plaindre » apparaît plus erronée que jamais.  Se plaindre, non ; revendiquer, oui. Revendiquer, proposer, argumenter, tenter. Car même si chacun d’entre nous est dans une large mesure le produit de la société, il est également acteur et auteur de sa vie. Si, en bons hommes modernes, nous refusons de voir les déterminismes qui traversent notre liberté, alors au moins utilisons-la vraiment. Créons, ici et maintenant.

Et arrêtons de nous cacher derrière les « de toute façon le monde ne peut pas être parfait », « ça ne changera pas le monde » et autres « je ne veux pas être le dindon de la farce ». Je crois que cela fait bien trop longtemps que nous sommes les dindons de notre propre farce.

NB: les photographies insérees dans le texte et présentées dans l'album Gens et Paysages du Manaslu ont été réalisées en novembre 2010. Elles visent à illustrer l'authentique beauté du monde, et ainsi nous donner envie de développer celle présente dans chacun d'entre nous.

[1] Suite au renversement du Roi au printemps 2007, des accords de paix ont été signé entre les principaux partis et les rebelles maoïstes pour mettre fin à dix ans de guerre civile.

[2] La haute insécurité alimentaire correspond à une situation dans laquelle les stocks sont épuisés ou inférieurs à un mois, et dans laquelle les personnes sont amenées à emprunter massivement, à vendre leurs terres et/ou à manger les graines pour pouvoir se nourrir. Cf. Programme Alimentaire Mondial, « Nepal Food Security Bulletin, Issue 28, August 2010 ».

[3] Sherpa, Dechen and Shrestha, Binay (2008): Gender Assessment in the Rangeland Areas. Mustang, Nepal: Assessing Gender Roles in Changing Environments; ICIMOD.


[4] Cf. Lévi-Strauss Claude (1955), Tristes Tropiques, Plon coll. Terre Humaine/Poche (réed. Oct. 2009).

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